Les douze travaux des Halligens

Source : Géraldine Schwarz : http://www.revue21.fr/Les-douze-travaux-des-Halligens

L’archipel des Halligens, dans la mer du Nord, est menacé de disparition. Chaque jour, ses 330 habitants construisent à la main des digues pour se protéger de l’inexorable montée des eaux.

Il faut attendre que la marée soit basse pour prendre le petit autorail qui mène aux Halligens, un minuscule archipel de la Mer du Nord, au large des côtes allemandes. Les rails construits en équilibre à fleur de mer semblent percer les flots, si calmes en cet hiver naissant. A l’horizon, des gouttes de terre comme un mirage. C’est là qu’habite Ruth Hartwig-Kruse, qui conduit le wagon pour rentrer chez elle après une journée de courses sur le continent. Elle roule sur l’eau dans un halo de bruits mécaniques.

Ruth Hartwig-Kruse rentre du continent avec ses courses. Elle pensait que sa famille vivrait sur l’archipel jusqu’au crépuscule des temps.

Depuis trois siècles les racines de la famille Kruse courent dans ces îlots de tourbe et de boue. Ruth pensait qu’il en serait ainsi jusqu’au crépuscule des temps. Mais le réchauffement climatique pourrait avoir sonné le glas des Halligens. Elle monte, elle monte, la mer. Elle devient insistante, envahissante, hargneuse même, à rôder inlassablement autour des dix îles posées à raz de l’eau. « Le niveau de la mer est bien monté de 50 cm en vingt ans et tous les jours, lors des marées, elle menace un peu plus de pénétrer sur nos champs, de tuer nos bêtes et de saccager nos cultures. De quoi vivrons-nous alors ? », s’inquiète Ruth, fière héritière d’une lignée de paysans.

Les 330 habitants des Halligens vivent d’élevage, d’agriculture et de tourisme. L’hiver, ils ramènent les bêtes à l’abri sur le continent, de peur des inondations. Ils ne sont pas de ceux que les défis effraient. La mer leur a déclaré la guerre, ils se battront jusqu’au bout.

Chaque matin, tous les hommes des Halligens se mobilisent sur les rives de leur île. La journée du mari de Ruth, Hermann, commence à sept heures. Avec les autres hommes de son île, Nordstrandischmoor, ils agencent une à une des pierres pour élever une digue de fortune qui enserre l’île minuscule. L’Etat les paie pour cette tâche de « protection des côtes allemandes ». « Quand nous aurons fini de faire le tour, il faudra recommencer car le niveau de la mer aura certainement de nouveau augmenté », dit Hermann d’une voix lasse. « Nous sommes en colère parce que les responsables du réchauffement climatique ne réalisent pas ce que c’est que de perdre la seule terre qu’on ait jamais connue. C’est comme devenir orphelin du jour au lendemain », dit-il.

Tempête sur les Halligen

La digue peut résister contre les petites marées mais, contre les « Landunter », une montée soudaine des eaux de plusieurs mètres qui intervient dix à vingt fois par an, elle ne peut rien. Un fort vent d’ouest, des courants capricieux, une pleine lune, et soudain la mer prend possession de l’archipel, l’aspire d’un coup, à l’exception des maisons construites chacune sur une colline artificielle de 8 mètres de haut. Quand l’océan se retire, il abandonne un dépôt de sédiments qui fertiliseront les prés salés.

« Les enfants adorent les Landunter, c’est toujours un peu la fête, comme si nous étions tous en voyage », dit Ruth. Elle aussi les aime bien, ces irruptions inattendues. Sa maison a encore quelques mètres d’avance mais, si la mer continue de monter, il sera impossible de surélever la maison. « Il faudrait construire une nouvelle colline et cela coûte des millions d’euros. L’Etat les a financées une fois, il ne le fera pas une deuxième fois », déplore Hermann.

L’archipel est né en 1362 des restes d’un pan de continent qui s’effondra sous une gigantesque tempête. On comptait alors une centaine d’îles. En 1720, un quart de la surface fut engloutie par la mer puis des tempêtes et, en 1825, l’archipel fut à nouveau amputé de nombreuses de ses îles. En 1962, une grande tempête acheva de lui donner sa configuration d’aujourd’hui.

La victoire des hommes, c’est qu’ils y vivent encore.

Géraldine Schwarz journaliste reporter sera intervenante le 08 avril lors de la table ronde « Bye Bye Cultures ? » Pour plus de renseignement rendez-vous sur :

http://www.patrimoineetclimat.uvsq.fr/?page_id=47

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